Il était de ceux qui ont une compréhension du monde accrue. À ce talent, s’ajoutait une ignorance complète des conventions sociales. Celles qui nous forcent à retenir en dedans des milliers de trucs et parfois même les plus importants.
Cet homme, il était assez fou pour être un génie.
Je le regardais de loin parler de sa vie à quelqu’un qui ne savait pas quoi faire de ses confidences déplacées. Il y a avait une grande lucidité dans ses propos. Il s’exprimait tel un poète, parlait à coup de vérités. C’était quelqu’un qui voyait trop clair. Il voyait tellement tout qu’il n’arrivait pas à comprendre ceux qui ne voyaient rien. Ça fait qu’il passait son temps à essayer de faire en sorte que les gens s’ouvrent les yeux. Mais personne ne l’écoutait. Ils sont comme ça les gens.
L’observer me faisait réfléchir. J’avais besoin de sortir de mon monde, de m’évader de la bulle que je me crée trop solidement. Besoin d’apprécier l’anonymat que peut m’offrir Montréal si je la laisse faire. Parce qu’on a tendance à faire ça, rester dans nos bulles. Rester dans nos sphères protégées, nos boites, jusqu’à s’en rendre malade parfois. Il y a dans le besoin de sécurité, une forte tendance à vouloir rester où l’on est. Pas nécessairement par envie de confort ou par peur, mais par simple habitude, par absence de questionnement. Il y a nos patterns aussi. Ceux qui font de nous qui nous sommes et qui sont responsables pour qui nous ne sommes pas.
Le génie, appelons-le ainsi, avait du passé beaucoup de temps en retenu à l’école secondaire. Ses profs ont dû dire à ses parents qu’il était un cas désespéré. On lui a donné des pilules aussi probablement. Pour le calmer. Pour l’aider à rentrer dans le moule. Ses parents ont dû être déçus et lui se sentir comme un extraterrestre. C’est difficile de ne jamais se sentir à sa place.
En tout cas. Il était beau. Il avait de longs cheveux, sales certes, mais ça lui donnait un style. Des yeux bleus pétillants qui avaient l’air de se foutre de si tu les regardes ou pas. C’est rafraichissant quelqu’un qui se fout sincèrement de si tu le regardes ou pas.
Je fais juste écouter ce qu’il dit. Mes écouteurs dans les oreilles et un livre ouvert à la même page depuis 15 minutes.
-Madame, vous devriez sourire plus. Je dis ça même si vous ne m’avez rien demandé. Mais je le vois dans vos marques su’l côté de votre bouche. Vous deviez sourire beaucoup avant pis là y’a plus grand-chose qui se passe dans votre face. C’est triste. J’suis pas mal sûr que vous étiez magnifique. J’vous trouve encore belle là, évidemment. Mais vous pourriez être ravissante.
La dame le fixait avec l’air de vouloir le tuer. Clairement il ne voyait pas que si elle ne souriait pas c’était à cause de lui. Il ne savait probablement pas non plus que les femmes sont fatiguées de se faire dire de sourire. Elle l’a juste dévisagé et elle est partie sans avoir porté aucune attention à toute la véracité de son premier discours. Celui qui lui racontait pourquoi il était autant de bonne humeur aujourd’hui. Sa copine lui avait finalement dit qu’elle l’aimait alors que lui en était amoureux depuis le premier jour.
-Ça fait 5 ans! 5 ans! Que je lui dis, chaque jour qu’on est fait l’un pour l’autre! 5 ans qu’elle me croit pas. 5 ans que j’lui cours après comme un chien perdu. Mais aujourd’hui, elle le voit elle aussi. Vous voyez m’dame, j’suis pas fou. Je l’avais juste vu avant elle qu’on était parfait ensemble. Elle s’appelle Isabelle. Pis elle est aussi belle que son nom sonne bien.
Il avait l’air d’être un adulte capable d’aimer comme un enfant. Aimer sans raison, sans ficelle.
Je me suis dit qu’elle était chanceuse cette fille-là, de se faire aimer autant.
J’ai pensé que ça devait l’épuiser d’être comme ça et de sentir que les gens ne vivent jamais aussi fort que lui.
Il devait souvent arriver à la maison et jeter ses clés sur sa table de cuisine en soupirant fort.
-Tsss….Les gens esti…. Qu’il devait se dire en riant un peu de nous.
En tout cas.
Moi il m’a fait sourire peu importe ce que la madame renfrognée aura pensé de lui.
Ça me fait toujours sourire, les génies.